La communication non verbale
Chaque variante de la maladie de Batten est différente, et la chronologie des symptômes chez les patients varie énormément. Cependant, la plupart des porteurs de CLN doivent faire face à une déficience du langage. Les professionnels qui travaillent au quotidien avec ces jeunes rappellent l'importance de mettre en place des outils adaptés, comme nous l'avions rapporté dans les comptes-rendu de BDFA Family conference 2017 et BDFA Family Conference 2016.
Dans cette page, nous proposons un tour d'horizon d'outils pratiqués par différents professionnels avec des jeunes atteints notamment de CLN3, ainsi que quelques références à des travaux moins spécialisés sur cette maladie, mais qui peuvent être source de réflexion.
Il est évident que l'histoire personnelle de chaque jeune doit être prise en compte. Ainsi, suivant que l'enfant ait déjà verbalisé ou non détermine le type d'outil que l'on peut mettre en place. Le fait qu'il soit en situation de déficience visuelle partielle ou totale va également orienter les outils qui seront mis en place.
La page pictogrammes tactiles évoque une piste de communication non verbale qui bénéficie des réflexions présentées sur cette page, et qui semble prometteuse quant à la richesse des possibilités envisagées.
La page pertes de la parole donne à entendre le témoignage d'une porteuse de CLN3, interviewée au sujet de ses difficultés d'élocution.
Communication Alternative et Augmentée (CAA)
Le concept de Communication Alternative et Augmentée est porté par la ISAAC, pour International Society for Alternative and Augmentative Communication. Élisabeth Cataix-Nègre est l'autrice d'un livre (Communiquer autrement, 2e édition publiée en 2017 chez De Boeck Supérieur) qui reprend et développe ces idées, en s'appuyant sur une pratique auprès de publics très variés. Le sous-titre de ce livre est « accompagner les personnes avec des troubles de la parole et du langage ».
Dans ce livre, l'autrice reprend l'historique de ces techniques, dont les plus anciennes émergent dans les années 70. Elle donne les principes communs à ces méthodes, en soulignant notamment l'importance de la modélisation, le rôle indispensable des proches de la personne dans la mise en place de ces techniques, l'importance cruciale à adapter les outils suivant les besoins, ou encore la manière de construire un vocabulaire.
Pour qui, pourquoi ?
La communication est un des éléments essentiels de l'autonomie : être capable de communiquer avec autrui sans barrière ni dépendance à un cercle d'initiés est quelque chose d'indispensable. Les techniques de CAA nécessitent certes une grande implication de la personne qui apprend à l'utiliser, et de son interlocuteur, mais elle permet de dépasser des situations d'enfermement. C'est ce que rapportent à la fois les personnes qui en bénéficient, et les professionnels et proches de personnes utilisant ces outils.
La complexité du langage ainsi produit sera bien sûr très variable suivant les capacités cognitives des utilisateurs. Chez les jeunes atteints de CLN3, les premiers symptômes de la maladie sont en général observés entre 5 et 7 ans. Chez ses jeunes, la verbalisation a eu lieu, ce qui offre la possibilité d'une communication orale pendant les premières années de la progression de la maladie. Chez ces jeunes, la complexité des concepts évoqués est élevée, et le vocabulaire sera donc assez étendu. À l'inverse, les jeunes atteints de CLN2 n'ont pas forcément eu accès à la verbalisation, ce qui implique un vocabulaire plus restreint, et spécifique à leurs centres d'intérêts personnels.
Dans le cas de maladies dénégératives comme les CLN, on sait que les capacités d'apprentissage sont plus développées au début de l'arrivée des symptômes. Il est donc essentiel d'introduire le plus tôt possible ces outils de communication, d'abord sous forme de jeux, pour préparer les temps où la verbalisation sera rendue impossible. J'ai rencontré de plusieurs parents ayant accompagné des enfants CLN, et n'ayant pas eu connaissance de ces outils au moment où ils auraient pu les mettre en place, et qui regrettent énormément d'être passés à côté de cela. On entend dans leurs témoignages la frustration à ne pas pouvoir communiquer.Importance de la modélisation
Le retour d'expérience des personnes qui ont accompagné des gens dans l'appropriation d'une technique de CAA est très intéressant. Le premier point sur lequels ils insistent est l'importance de la modélisation. Cette insistance vient du constat qu'une personne s'appropriera mieux un outil si d'autres s'en servent autour d'elle. Ainsi, modéliser revient à utiliser l'outil de CAA pour doubler ses interventions verbales, et ainsi aider l'apprenant à s'approprier l'outil. Par exemple, on modélisera le concept de manger au moment de dire « maintenant, on va au self pour déjeuner ». Il s'agit d'aider à l'appropriation de l'outil.
La modélisation se fait régulièrement, et plus l'environnemment du jeune la pratique, plus le jeune peut s'approprier l'outil de communication. On prendra soin d'adapter la complexité de la modélisation suivant la capacité d'expression CAA de l'apprenant.
Adaptation des outils aux besoins
L'outil qui est mis en place pour une personne doit être adaptée à ses besoins et capacités, et dans la mesure du possible être compréhensible par le plus grand nombre de personnes : il s'agit de faciliter la communication avec autrui. Le choix d'outils spécifiques devra donc être complétée de lexiques de traduction par exemple.
Il existe un grand nombre d'outils utilisés, suivant les capacités cognitives et physiques des personnes qui pratiquent les CAA. Certaines solutions sont sans assistance technique (expression du visage, vocalisation, gestes, langues des signes), d'autres utilisent une assistance technique, qu'elle soit high-tech (informatique, outils connectés, synthèse vocale, etc.) ou au contraire sans électronique (cartes de communication, livres, alphabets, ...), qui peuvent être utilisés via un pointeur (baguette frontale, pilotée par la bouche), le regard, ... L'implication d'un assistant à la communication peut également être nécessaire, lequel pourra alors guider le communiquant en utilisant des questions dont la réponse est oui/non.
Construction du vocabulaire
Le vocabulaire disponible sur les supports de CAA doit s'adapter aux besoins et capacités des communiquants. Dans son livre, Élisabeth Cataix-Nègre illustre son propos par de nombreux cas d'utilisation, où le périmètre d'utilisation est très varié. On peut notamment retenir :
- Que le vocabulaire est introduit progressivement, en suivant les besoins et capacités de l'apprenant, sans le surcharger de nouveautés.
- Qu'il faut privilégier un vocabulaire utile au quotidien, avec un accès privilégié aux concepts les plus fréquents. Dans le cas d'un imagier par exemple, un jeune pourra utiliser un tableau avec les concepts très fréquents, et un classeur (dont l'ordre de représentation aura été bien réfléchi) pour permettre l'accès à un vocabulaire supplémentaire.
- Que le périmètre du vocabulaire doit être bien pensé, pour être pratique, et non universel : on ne va pas avoir une image pour chaque type de fruit ou légume à table, on va plutôt avoir des concepts plus utiles, comme j'aime/je n'aime pas, c'est trop chaud, ... On a peut-être rarement besoin du concept de brocoli, que l'on pourra plutôt évoquer par la notion de légume, fleur, puis par une série de question oui/non par exemple.
- Que l'on peut envisager un outil qui soit contextualisable : au moment du repas, on privilégie le vocabulaire lié au fait de manger ; à la piscine, on privilégie le vocabulaire de l'eau et lié au bien-être physique, etc. Dans les exemples que donne l'autrice, on retrouve des tableaux avec parties amovibles, des tabliers où les poches sont garnies d'éléments adaptés.
Dans les annexes du livre d'Élisabeth Cataix-Nègre, on trouve un questionnaire aux familles afin de recueillir le vocabulaire nécessaire à la CAA et les habitudes de communication. Il comporte quelques questions-clé qui permettent de construire un vocabulaire adapté. On trouve également un exemple de vocabulaire de base d'une cinquantaine de mots.
Le travail d'Adam Ockelford en collaboration avec la BDFA a amené à la construction d'un vocabulaire élémentaire pour une communication par micro-chansons. La figure donnée en illustration propose un découpage en grands domaines de ces éléments de vocabulaire : éléments de base (oui/non, merci, au revoir, j'ai fini, plus, bonjour), activités, qui veux-tu voir, que ressens-tu, que veux-tu faire, où veux-tu aller.
Quand introduire ces outils
La plupart des professionnels rencontrés (ceux de la Heather House, mais aussi la spécialiste en communication non verbale Anne-Grethe Tøssebro) suggèrent de commencer à introduire progressivement les outils de communication non verbale dans le quotidien des enfants, au moment où ils ont encore la capacité de s'approprier de nouvelles notions. Ils suggèrent de les introduire sous forme de jeux, afin de faciliter leur acceptation, et considèrent que cette démarche est indispensable à une utilisation future. Bien sûr, ces conseils sont plus ou moins pertinents suivant la forme que prend la maladie de Batten chez le jeune.
Quelques approches pratiquées avec les jeunes CLN
Dans cette section, sont proposées quelques approches utilisées par des professionnels et par les familles de jeunes porteurs de CLN au quotidien. Plusieurs de ces exemples sont plus spécifiquement développés pour des jeunes atteints de CLN3, qui ont une déficience visuelle importante, et ont eu accès à la parole.
De manière générale, les professionnels qui proposent des outils de communication non verbale aux jeunes s'inspirent des nombreuses techniques existantes, en les adaptant à chaque fois au jeune, à ses capacités, sa culture, et ses envies.
Communication par langage des signes
Il est fréquent que le langage des signes pratiqué dans le cadre de la CAA soit inspiré du langage des signes pour malentendants pratiqué dans la région où grandit le jeune. On cherchera cependant à sélectionner ou à adapter les gestes de sorte à ce qu'ils soient praticables. L'intérêt d'une telle approche est que la personne utilisant la CAA ne sera pas encombrée de matériel supplémentaire. Il faudra évidemment pouvoir construire un outil de traduction de ces signes (un imagier par exemple).
Comment transmettre de nouveaux signes à une personne déficiente visuelle ? Il existe deux approches possibles. La personne qui souhaite transmettre un nouveau signe se place à côté de l'apprenant, et peut soit placer ses mains sur celles de l'apprenant, en le guidant pour qu'il fasse le geste, ou au contraire demander à l'apprenant de mettre les mains sur les siennes, afin qu'il puisse suivre le geste réalisé par celui qui le connaît déjà.
Merete Staureby a gentillement accepté de partager un document qui décrit un projet exploré en Norvège, puis exporté ensuite au Danemark, et qui s'intéresse à la communication par signes de la main. Vous le trouverez en langue allemande au format présentation, et sous forme de texte. Si une proposition de traduction était faite par une personne germanophone, ça serait super !
Communication par micro-chansons
Il a été constaté chez de nombreuses personnes ayant des troubles de la parole que le fait de chanter était un facteur facilitant de la prononciation. Ainsi, Merete Staureby évoque dans le document various tools l'utilisation de mélodies, associées à des phrases clé, que l'on chante plutôt que l'on prononce, afin d'en faciliter la prononciation.
Dans une expérimentation récente, menée par Adam Ockelford (directeur de centre de recherche en musique appliquée de l'Université de Roehampton), en collaboration avec la BDFA, les participants ont construit avec des jeunes atteints de CLN2, CLN3, CLN5, CLN6 et CLN8 un ensemble de micro-chansons, comme éléments de communication autour d'un vocabulaire bien choisi (voir plus haut). Ces travaux entrent dans le cadre du projet Sounds of Intent. Les jeunes ayant participé à cette expérimentation ont pour la plupart une pratique de l'art-thérapie, ou un rapport au chant et à la musique très fort. Pour plus d'information sur ces travaux, vous pouvez consulter le document publié par Adam Ockelford, au format pdf ou docx.
Communication par symboles tactiles
L'utilisation des imagiers est une pratique courante en communication non verbale. Elle permet de décrire de manière figurative ou abstraite des concepts très variés. Quand la personne qui pratique la CAA est déficiente visuelle, une des approches consiste à utiliser une version tactile de cette approche. Plusieurs solutions sont envisageables, qui passent par le braille, ou par la mise en relief de dessins.
Une autre approche consiste à utiliser des objets, figurines, accessoires, à l'aspect et forme tactile identifiable, qui expriment ces concepts. Plusieurs parents témoignent de l'utilisation de cette approche. Merete Staureby a gentillement accepté de partager un document regroupant les photos d'un vocabulaire tactile utilisé par Sofie (document en anglais). Regroupés dans une boîte, ils permettent de représenter des moments-clé de la journée, des personnes, des activités.
Communication par boutons pressions
Quand la maladie est très avancée, il arrive un moment où les gestes du jeune ne permettent pas l'utilisation des outils décrits plus haut. C'est pourquoi les personnes qui travaillent au quotidien avec des jeunes CLN à la Heather House suggèrent l'utilisation de petits appareils composés de boutons faciles à pousser, et qui déclenchent des sons. On peut imaginer une forme très réduite, avec un bouton oui et un bouton non, ou des choses plus complètes. Différents outils peuvent être envisagés, comme par exemple des boutons poussoirs facilement réenregistrables, ou des interfaces connectées à des ordinateurs. On trouve des versions commerciales de périphériques à quatre boutons sur les boutiques spécialisées, mais on peut aussi imaginer fabriquer ou détourner des solutions existantes moins onéreuses.
Cette approche peut par exemple être introduite très tôt dans le cadre de jeux de type quiz. Ainsi, les membres de l'association norvégienne ont développé un petit logiciel (sprida quiz), que l'on peut facilement enrichir en ajoutant des questions/réponses, qui seront ensuite lues par une synthèse vocale. L'ordinateur, connecté à une interface à 4 boutons, permet au déficient visuel de pratiquer une activité ludique. N'hésitez pas à me contacter si vous souhaitez une copie du logiciel.
Pictogrammes tactiles
Depuis peu, Élisabeth Cataix-Nègre a commencé avec Catherine Rabreau un travail de réflexion autour de l'adaptation des outils de la CAA pour un public déficient, en explorant la piste des pictogrammes tactiles. Initialement imaginé pour communiquer avec des personnes sourdes-aveugles, souvent avec troubles cognitifs associés, l'outil constitue une piste intéressante pour les jeunes atteints de la maladie de Batten.
Un compte-rendu des idées développées sur ce sujet à l'occasion d'un échange avec Catherine Rabreau est disponible sur la page dédiée aux pictogrammes tactiles.
Pour aller plus loin
- Logiciels et matériels pour s'exprimer autrement.
- Boutique en ligne (hoptoys) autour de la Communication alternative et augmentée.
Voir aussi
- Les activités quotidiennes, où l'on retrouve souvent des problématiques liées à la communication non verbale.
- Plusieurs idées autour de la communication non verbale avec des jeunes atteints de CLN ont été évoquées pendant les rencontres des familles de BDFA en 2016 et 2017. Vous pouvez consulter sur ces site un compte-rendu de ces rencontres, qui reprennent beaucoup de ces idées : BDFA Family conference 2017 et BDFA Family Conference 2016.
Recherche de témoignages
Vous avez un regard complémentaire sur la question de la communication non verbale avec des personnes porteuses de la maladie de Batten ? Vous souhaitez compléter cette page issue de réflexions trop spécifiques à la CLN3 ? Écrivez à cln@vml-asso.fr, et avec votre accord, j'enrichirai les pages de ce site internet, afin de le rendre plus complet, et utile au plus grand nombre.